La plus précieuse des marchandises – Jean-Claude Grumberg

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Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron. Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pourvoir les nourrir ? Allons…

De toute façon, d’enfant, pauvre bûcheronne et pauvre bûcheron n’en ont pas : une bouche de moins à nourrir pour lui pauvre bûcheron, une douloureuse absence pour elle. Mais en ces heures où gronde au loin la guerre, pauvre bûcheron et pauvre bûcheronne n’ont pas de temps à perdre à imaginer une autre vie, tout occupés qu’ils sont à juste survivre d’un jour à l’autre. C’est dans cette quête perpétuelle que pauvre bûcheronne voit passer les trains, ceux qui mènent on ne sait où, ceux dont la marchandise est incertaine. C’est de l’un deux que lui sera offerte une précieuse marchandise, la plus précieuse des marchandises – de celles qui changent à jamais une vie, qui redonnent le goût de tout et surtout celui de réinventer chaque jour. Alors oui parfois, on peut abandonner son enfant, pour le sauver ou espérer tout au moins que la mort que l’on pressent l’épargnera. Et quand, dans ce wagon qui roule vers la mort, un père prend au hasard un de ses jumeaux avec la folle idée de le laisser tomber du train, il ne sait s’il le sauve ou l’achève. Mais la graine d’espoir qu’il se fiche en plein cœur avec ce geste fou, contre malheurs et atrocités, ne cessera jamais de pousser et de l’habiter et tel un tuteur, de le tenir droit alors que le monde autour de lui bascule.

Voilà un tout petit livre qui fait partie pour moi des grands, de ceux que l’on a envie de garder toujours auprès de soi, d’offrir, de relire, de connaître par cœur tant Jean-Claude Grumberg a réussi là un coup de maître. Utilisant les codes du conte, il livre l’horreur de cette guerre qui a englouti des millions de « sans-coeurs » dans son lit de haine. Les personnages prennent une incroyable densité malgré la distance créée par leur absence de nom et l’on est envahi par l’empathie envers ce pauvre bûcheron qui tout bougon qu’il est et tout empêtré dans ses croyances voit son coeur chaviré et ses convictions balayées en un simple geste. La plus précieuse des marchandises dit en un texte court et intense comment parfois de l’indicible peut naître le bonheur et à quoi on est prêt pour préserver l’amour quand on l’a approché. Un récit qui, loin de toute mièvrerie, laisse percer une trouée de lumière dans les ténèbres de l’Histoire.

Les jours suivants, pauvre bûcheron tout comme pauvre bûcheronne ne ressentirent plus le poids des temps, ni la faim, ni la misère, ni la tristesse de leur condition. Le monde leur parut léger et sûr malgré la guerre ou grâce à elle, grâce à cette guerre qui leur avait fait don de la plus précieuse des marchandises. Ils partagèrent tous trois un plein fagot de bonheur, orné de quelques fleurs que le printemps leur offrait pour éclairer leur intérieur.

La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg. Editions Seuil, collection « La librairie du XXIe siècle »/ 2019.

Une lecture que je dois à Babelio : merci à eux et à l’éditeur pour l’envoi !

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