Quand tu écouteras cette chanson – Lola Lafon

Lorsque les éditions Stock proposent à Lola Lafon l’expérience d’une « nuit au musée », lui vient soudainement le choix du lieu comme une évidence ou plutôt comme une urgence. Ce sera L’Annexe à Amsterdam : cette cache où vécurent Anne Franck, ses parents, Otto et Edith, et sa soeur Margot pendant plus de deux ans. Rejoints par d’autres Juifs menacés de déportation, ils auront été jusqu’à huit à partager la promiscuité d’une vie étouffée dans moins de 40 m2 des mois durant. L’expérience de cette nuit singulière vient percuter l’histoire tue de Lola Lafon : celle de la déportation et des exils de ses propres aïeux. Une histoire, une réalité fantômes que l’autrice s’est toujours appliquée à tenir à distance. Mais, dit-elle, les fantômes ont le temps, ils patientent tranquillement et apparaissent quand on ne les attend plus, lorsque l’on croit qu’ils nous ont oublié·es à force d’indifférence.


Alors pour préparer et vivre cette nuit à L’Annexe, Lola Lafon va les affronter ces fantômes, ceux des disparus, ceux des « revenus » aussi, ayant laissé là-bas, ailleurs, un peu d’eux-mêmes. Quand tu écouteras cette chanson est le double récit d’Anne Franck – cette adolescente au destin pris dans les filets de l’Histoire et de la haine et que tout le monde croit connaître – et de Lola Lafon, fille de Roumanie et de France, aux racines fragilisées par l’Histoire.

Lorsqu’on me demandait d’où je venais, je faisais le tri de ce qui me semblait acceptable.


Naît de ces réminiscences volontaires un texte émouvant – à n’en pas douter le plus personnel de Lola Lafon et en cela le plus bouleversant – où l’autrice réhabilite, derrière la figure désincarnée d’Anne Franck à force d’idolâtrie, l’adolescente débordante de vie, à la plume talentueuse et à la conscience particulièrement aiguisée sur ce qui se joue pour les siens, de cette judéité persécutée, de la destruction en marche. Elles ont en commun l’écriture, une religion et des déchirements. Un texte avec lequel Lola Lafon met aussi enfin des mots sur les trous de silence de sa propre histoire, pour enfin « faire place à ceux qu’on dit avoir perdus ».

Peut-être commence-t-on parfois à écrire pour faire suite à ce qu’on a perdu, pour inventer une suite à ce qui n’est plus. Pour dire, comme le petit rond rouge sur un plan, que nous sommes ici, vivants. Si la mémoire s’étiole, les mots, eux, restent intacts, ils sont notre géographie du temps.

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon. Editions Stock, coll « Ma nuit au musée »/ 2022.

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