Ghost Town – Kevin Chen

En donnant successivement naissance à cinq filles, la famille Chen semble maudite. Dans cette société taïwanaise qui n’honore que les garçons, A-Chan ne se déclare pas vaincue et finit par donner naissance à deux fils. Mais ces garçons tant attendus ne lui apporteront pas l’honneur qu’elle espérait. La prison pour l’un, l’homosexualité et un meurtre pour l’autre. Autant parler de malédiction. Alors qu’A-Chan vient de rendre son dernier souffle, Chen Tienhong, le dernier-né, sort fraichement de prison à Berlin où il est exilé depuis plusieurs années et décide de rentrer dans son village natal de Yongjing. Un retour qui fait remonter les souvenirs des désirs naissants, des violences, des mots coupants de la mère, d’une sexualité invivable. Mais c’est aussi tout le monde autour de Chen Tienhong qui se dévoile : l’histoire de ses cinq soeurs qui ont tenté d’exister dans cette société qui ne voit dans les femmes que des épouses potentielles.
Ghost Town de Kevin Chen est un roman dense, difficilement réductible à un résumé tant il mêle, à travers l’histoire de Chen Tienhong et de sa famille, divers destins. Aux histoires des différents personnages s’entremêlent les voix des fantômes, de celles et ceux déjà partis mais jamais bien loin. Mais finalement qui sont les vrais fantômes : ceux que la mort a déjà enlevés ou ceux qui sont restés, empêtrés dans des vies qu’ils ne semblent jamais avoir complètement choisies ? Comme effacés, absents à eux-mêmes, chacun semble habité par les traumatismes, vivre dans une forme de peur, errer dans un monde qu’il peine à habiter. Il s’agit de trouver sa place dans une société qui ne vous en laisse pas, de vivre au milieu de morts trop présents, de tenter d’exister sous les masques et le vernis qui se craquelle.
Comme un écho à l’histoire de l’île de Taïwan, la destinée de la famille Chen semble prise dans des rets qui étouffent, empêchent et coupent les ailes. Une voix de la littérature taïwanaise à découvrir pour ce qu’elle livre en creux de la société, pour ce qu’elle évoque des valeurs et des croyances, pour ce qu’elle révèle de violence rentrée dans les rapports humains.

Ghost Town de Kevin Chen (traduit du chinois (Taïwan) par Emmanuelle Péchenart). Editions du Seuil/ 2023.

2 réflexions sur “Ghost Town – Kevin Chen

    1. Ce n’est pas un livre très gai mais il m’a bien plu. Et c’était aussi l’occasion de découvrir la littérature taïwanaise contemporaine.

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