Simone et moi – Simone F. Baumann

Ce pavé graphique regroupe une partie de travail de l’artiste suisse Simone F. Baumann, initialement paru en fanzine. De courts épisodes comme autant d’entrées dans le fort intérieur de Simone, jeune femme d’une vingtaine d’années, où se mêlent angoisses diurnes et cauchemars nocturnes. Vivre, affronter chaque jour le monde est une épreuve. Enfant déjà, Simone s’était créé un rituel de petits gestes, d’interdictions quasi maléfiques : de tics en TOC, l’alter ego de l’artiste sombre dans la dépression.
Trait noir et ambiance morose et violente mettent en images l’angoisse, l’hypersensibilité, la difficulté à être au monde. Simone se cogne au mur de la « normalité » qu’attendent d’elle notamment ses parents.

Fais donc au moins un truc positif, une BD avec du bonheur et de la joie.

Alors peut-être dans le dessin, dans l’autobiographie fragmentée trouve-t-elle le courage de continuer, une manière d’affronter les regards un peu plus apaisée. Le livre ne le dit pas mais le travail de Simone F. Baumann fait assurément mouche par la sincérité de cette mise à nu et le pouvoir d’évocation de ses planches à l’encre de chine. Un autoportrait expressif qui concentre les appréhensions, les incertitudes quand on se tient au bord du gouffre entre enfance et âge adulte.

Simone et moi de Simone F. Baumann [traduit de l’allemand (Suisse) par Martin de Halleux avec la complicité de Thomas Ort]. Editions Martin de Halleux/ 2021.

Cette semaine, c’est chez Moka que ça se passe !

Beauté – Kerascoët & Hubert

Lasse de son physique ingrat et de son fumet de poisson, la jeune « Morue » se désespère. Elle se rêverait bien aussi belle que les princesses promises aux rois. Mais entre sa basse extraction et sa laideur, aura-t-elle un jour droit à l’amour, se lamente-t-elle. Il n’y a bien que Pierre qui ne se moque pas d’elle et semble même franchement l’apprécier. Ce qui n’est d’ailleurs pas au goût de la mère du jeune garçon qui rêve meilleur – en tout cas plus joli – parti pour son fils. Un jour de grand désespoir, au bord de l’étang, Morue défait, par le hasard d’une larme versée, un sort. Elle libère ainsi la fée Mabel qui lui promet en remerciement d’exaucer un vœu. Et puisque sa modeste condition ne lui a pas donné le droit aux fées au-dessus du berceau, Morue demande ce qui lui fait tant défaut et qui, croit-elle, changerait sa vie à jamais : la beauté. La jeune fille ne croit pas si bien dire puisqu’à peine le sort jeté, chaque regard croisé ne voit plus en elle que la plus belle créature que la terre ait portée. Un vœu exaucé qui se révèle une véritable malédiction. Car les hommes ne peuvent, devant tant de perfection, se contenir et quelque soit leur âge, ils n’ont plus qu’une idée : la posséder, violemment, rageusement, férocement. Ils n’ont que faire de son consentement. Devant le chaos hormonal et sexuel, les femmes chassent Morue et sa mère du village. C’est en tentant d’échapper à ses incontrôlables agresseurs que Morue fait la connaissance d’Eudes, jeune chevalier, lui aussi tombé sous le charme. Il la rebaptisera « Beauté ».

Tu veux tout et son contraire.

Si Beauté a désormais ce dont elle rêvait et un homme qui l’aime, la jeune femme s’ennuie chaque fois que son amant doit aller chasser et s’occuper de ses terres, bref bosser quoi. Alors, lorsque c’est pour la guerre qu’il la quitte avec force promesses de retour, Beauté se languit tant et plus que d’impatience en mauvais conseils, elle va chercher d’autres bras pour se consoler. Et pas n’importe lesquels : ceux du roi en personne, qui, lui aussi ensorcelé au premier regard, est prêt à renier reine et rejeton princier pour les beaux yeux et les promesses d’amour et de plaisir de Beauté. Mais rien n’est simple avec Beauté. Et si la vie dont elle a tant rêvé n’était qu’une illusion ? Si le roi met tout en œuvre pour lui fabriquer un monde idéal, il n’en demeure pas moins qu’il a un royaume à gérer et une guerre à affronter. Mais le sort qui enveloppe Beauté et les intrigues de cour compliquent la donne et font tourner les têtes, quand elles en tombent pas.

Quel plaisir de retrouver dans cette série le trait et les couleurs d’Hubert ! Décidément cet artiste avait le talent de suggérer tellement dans ses dessins. Inconstance et mensonges jalonnent ce conte et cette duplicité est merveilleusement rendue graphiquement : le dessin d’Hubert rappelle sans cesse que sous les traits parfaits de Beauté se dissimulent Morue et ses oreilles décollées, ses traits ingrats, son besoin de plaire, sa peur de ne pas être aimée, à l’origine de bien des catastrophes. Personnage à l’innocence frôlant la bêtise, sans cesse ballotté entre un fantasme de vie et la réalité, Morue se cogne régulièrement aux conséquences de ses choix peu réfléchis. Rêvant que le monde qui l’entoure soit synonyme de beauté, la jeune femme se retrouve entourée au fil de ses aventures d’une extrême violence. Pourtant, elle semble rarement en tirer des leçons et c’est peut-être là que le bât blesse un peu côté scénario. Les mésaventures semblent se répéter pour arriver à un dénouement que j’ai trouvé très (trop ?) hâtif. Une lecture somme toute bien agréable et un vrai coup de cœur coté graphique, malgré un bémol pour le troisième tome que j’aurais préféré un peu plus appuyé sur l’évolution de Morue/ Beauté.

Beauté – 1. Désirs exaucés (2011), 2. La Reine indécise (2012), 3. Simples mortels (2013). Éditions Dupuis.

Cette semaine, les bulles sont à retrouver chez Stephie !

Véro – Edmond Baudoin

Voilà un livre qui sommeillait dans ma PAL depuis je ne sais combien d’années. Il m’avait été offert en raison de son titre. C’est peut-être cette anecdote qui me l’a fait plus ou moins – mais jamais tout à fait – oublié. Il y a deux jours je l’ai vraiment ouvert, et puis je me suis assise et avec William j’ai plongé, dans sa banlieue pourrie où chacun rêve d’évasion à sa façon, derrière les façades tristes au coin desquelles on peut tomber sur les flics. J’ai vu sa douceur : le regard qu’il pose sur le SDF quand plus personne ne semble le voir, la promesse au vieil Antoine, et puis son amour pour Véro. Mais Véro, elle aime aussi l’héroïne. Et William n’a plus envie de partager.


Comment parler de ce récit à la fois court et d’une si grande densité ? Le trait de Baudoin imagine des contours mouvants à ce personnage touchant. La tête comme prise dans une cage, William se confond parfois avec ce qui l’entoure, comme si son quartier tout entier le contenait, le contraignait. Il se fond dans les rencontres aussi. Il s’imprègne de la douceur ici, d’une sensation de liberté là. Parce qu’il aime à croire, William, malgré tout ce qui se dresse, malgré tous ceux qui le pressent, qu’ « y’a pas des prisons partout ». Alors sa liberté, il va se l’offrir.
Un superbe petit récit graphique où se déploie tout le talent d’Edmond Baudoin quand sous son trait sombre naît une incroyable poésie.

Véro d’Edmond Baudoin. Editions Mécanique Générale – Les 400 coups/ 2005 (1ère édition en 1998 chez Autrement) – [épuisé]

Les lectures pour ce premier rdv BD de l’année sont à retrouver chez Moka.
Et cette sortie de (vieille) PAL inaugure aussi le 1er objectif PAL de 2022, l’immanquable RDV organisé par Antigone.

Touchées – Quentin Zuttion

Lucie se couche tous les soirs avec un couteau tout près de l’oreiller, proie éternelle de sa propre peur depuis qu’elle a fui son mari violent. Tamara s’oublie dans une sexualité rude et agressive. Et Nicole vit en quasi recluse. Le hasard les réunit au sein d’un atelier d’escrime thérapeutique. Le hasard ? Le traumatisme plutôt car toutes les trois – et toutes les autres inscrites à cet atelier – ont subi des violences. A mesure que chacune se libère, que les corps se déscrispent, qu’elles s’autorisent à être au monde et à laisser affleurer les rires naît entre toutes trois l’amitié. Une relation créée petit à petit dans cette renaissance que chacune appréhende à sa façon.

Je ne veux pas être forte, je ne veux pas être courageuse, je veux retrouver ma légèreté.

Les aquarelles de Quentin Zuttion oscillent entre douceur pour dire les hésitations et force implacable quand elles prennent possession de la pleine page, libérant d’un cri tant d’années de rage et de larmes rentrées. Chaque personnage dévoile peu à peu son histoire et l’on a le coeur serré de tant d’horreurs subies, le souffle coupé parfois devant ces corps courbés enfin libérés. Et le sourire aussi devant cet avenir un peu plus dégagé, qui peut enfin être envisagé.
Avec Touchées, Quentin Zuttion offre un angle original pour aborder la question des violences faites aux femmes et celle, tout aussi délicate, de la reconstruction quand l’estime et l’espérance ont été si sauvagement piétinées.

Touchées de Quentin Zuttion. Editions Payot Graphic/ septembre 2019.

La désolation – Appollo et Gaultier

Difficile de parler de cet album sans divulgâcher une partie de l’intrigue. Tentons donc l’exercice : cet album signé Appollo et Gaultier ouvre sur l’embarquement d’Évariste – qui s’appelle en réalité Jean-Louis Payet – à bord du Marion Dufresne. Au départ de La Réunion, le bateau, reliant habituellement les terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour des expéditions scientifiques, accueille également à son bord quelques « touristes » en quête d’aventure extrême. Mais Evariste, lui, que vient-il chercher ? Ou peut-être est-il plus juste de demander ce qu’il cherche à fuir avec tant de conviction, se choisissant même un prénom d’emprunt comme pour mieux s’effacer.

Le temps de la traversée, notre héros va partager quelques ivresses avec les touristes et scientifiques embarqués avant que le froid de l’air qui entoure l’archipel des Kerguelen annonce l’arrivée sur ces terres préservées. C’est dans ce paysage hostile qui ne se laisse pas facilement apprivoiser, sur l’île de la Désolation, que la vie d’Évariste va basculer.

Le dessin aux contours sombres de Christophe Gaultier soutient un scénario entouré de mystères. Les paysages escarpés aux pointes acérées semblent, dès la première apparition, une menace, accentuant la tension jusqu’à la dernière vignette.

Tout·e Réunionnais·e a entendu parler du Marion Dufresne et ses missions au bout du monde et, en mêlant ici fiction et réel, La Désolation ouvre à tou·te·s les portes de ce navire qui mouille régulièrement dans un port de La Réunion. Et malgré le froid et l’effroi qui saisissent en feuilletant l’album, cette lecture agite aussi l’appel de la grande aventure, titillant la curiosité pour ces terres du bout du monde.

La désolation d’Appollo & Gaultier. Éditions Dargaud/ septembre 2021.

Blanc autour – Wilfrid Lupano & Stéphane Fert

En 1832, Prudence Crandall, enseignante appréciée par la communauté de Canterbury (Connecticut), décide d’accueillir dans son école une jeune fille de couleur avide de savoirs. Voilà qui fait ruer dans les brancards son influent voisin et, avec lui, toute la société blanche de la ville. Qu’à cela ne tienne, Prudence Crandall tient bon, bien décidée à ne pas se laisser dicter sa conduite. Pire, Prudence va affronter non seulement Canterbury mais l’état tout entier en décrétant désormais son école ouverte uniquement aux jeunes filles noires. Petit à petit, les élèves arrivent de divers états. Et la colère gronde dans une société où noirs et blancs ne peuvent prétendre aux mêmes droits.


Efficacité narrative et douceur du trait pour cette histoire traversée par la violence d’une société qui rejette et discrimine. Un album à découvrir et faire découvrir pour son caractère historique, qui sort de l’oubli des destins souvent méconnus. Blanc autour illustre la conviction d’une femme qui aura à jamais marqué ses élèves en nourrissant leur curiosité et leur engagement.

Blanc autour de Wilfrid Lupano & Stéphane Fert. Editions Dargaud/ 2020.

Piments zoizos – Tehem

Lorsque Jean et sa petite sœur Didi montent dans la voiture de l’assistante sociale, ils sont loin d’imaginer ce qui les attend. Si la séparation avec leur mère, jamais verbalisée, est douloureuse, que dire de l’arrachement brutal entre le frère et la sœur, envoyé·e·s chacun·e dans un orphelinat différent dans deux coins de l’île.
Jean et Didi – comme près de 2000 enfants réunionnais (entre 1962 et 1984) – vont connaître un destin qu’ils n’auraient jamais pu envisager : catégorisés par le jargon de l’Aide Sociale à l’Enfance, perdant leur identité pour un nom provisoire avant une adoption à 10000 km de leurs racines, ils font partie de ceux que l’Histoire a (difficilement) retenus comme « les enfants de la Creuse ». Des enfants que la République française a voulu « sauver » parce qu’ils étaient orphelins, parce qu’ils avaient des parents défaillants, pour contrôler une démographie galopante, pour repeupler ses territoires en berne. Autant de raisons qui ont changé le destin de nombreuses familles.
Grâce à son association avec l’historien Gilles Gauvin, Tehem offre à la fois une fiction touchante sur l’exil forcé, la recherche d’identité et des racines et un document riche sur les déplacements de Réunionnais vers la métropole organisés par la République française.
Loin de tout manichéisme, Piments Zoizos, avec sa galerie de personnages attachants, donne à voir une vision multiple des événements, à l’image des destins divers de ces enfants envoyés à l’autre bout du monde. On rit car Tehem n’a ici rien perdu de son humour et on rage devant cette machine administrative capable d’engendrer de si profondes blessures.
Un roman graphique à inscrire dans les indispensables pour celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Réunion (mais pas que) – et forcément pour la Réunionnaise que je suis !

Piments zoizos de Tehem (avec la collaboration de Gilles Gauvin. Editions Steinkis/ 2021.

Lu dans le cadre d’une opération Masse Critique : merci à Babelio & à Steinkis Editions pour l’envoi.

Bulles en vrac

Trouver chez La Gröcha un monde où sévit une épidémie, modifiant profondément les repères et les règles. Au milieu de la défiance permanente, un couple tente d’affronter la disparition de sa fille. Étrange et effrayant écho à notre actualité. Une dystopie helvétique signée Peggy Adam et imaginée en… 2012.

La Gröcha de Peggy Adam. Editions Atrabile/ 2012.

Chez Casterman,Yann Legendre imagine SINGULARITY, un monde d’identités numériques où les corps organiques n’existent pas. Mais la découverte des sens devient une révolution. Un graphisme certes riche mais trop froid à mon goût et quelques passages bavards trop didactiques ont fait tout au long de la lecture de ce Flesh Empire une déception pour moi. Un sentiment atténué par un final inattendu !

Flesh Empire de Yann Legendre. Editions Casterman/ 2019.

Avec L’Humain, Agrimbau et Varela proposent un retour sur terre 500 000 ans dans le futur, le temps qu’il aura fallu à la planète bleue pour se remettre de l’égoïsme dévastateur de l’homme. Mais chassez le naturel, il revient au galop. Lorsque Robert, scientifique accompagné de ses robots, débarque dans ce nouveau monde, il est animé des meilleures intentions : reprendre l’histoire de l’humanité, les erreurs en moins. Mais tout ne se passe pas comme prévu et les pires vicissitudes de l’homme remontent à la surface. Peut-on encore avoir foi en l’humanité ? Rien n’est moins sûr.

L’Humain de Diego Agrimbau & Lucas Varela. Editions Dargaud/ 2019.

Trois fils & Un père vertueux de Ludovic Debeurme

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Assis au bord d’une falaise, un vieil homme a les deux bras plongés dans la mer, lestés par une grosse pierre. Ses trois fils l’ont abandonné là, seul sur une île minuscule. Mais qu’est-ce qui a poussé les trois garçons à un tel châtiment ? Car il s’agit là d’une vengeance et l’album Trois fils remonte le temps de l’enfance hors norme et violente de ces frères en narrant un premier épisode : l’abandon par le père dans une forêt, le temps dit-il d’aller trouver leur prochaine maison. Obligés de trouver de quoi se nourrir, ils commencent par cueillir et tenter de chasser ce qui se trouve à portée de main mais bien vite, ils appliquent le conseil du père : « vous devez voler votre nourriture ». Mais une rencontre inattendue viendra faire dérailler la routine frauduleuse bien huilée.

 

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Dans Un père vertueux, on retrouve les trois fils et leur père désormais installés dans leur nouvelle maison. L’homme a fini par les récupérer et les utilise pour ses activités peu recommandables de trafiquant. Pas d’autre choix pour les garçons que de répondre au doigt et à l’œil aux exigences de ce père bourru et tyrannique. Il ne leur passe rien et chaque incartade est sévèrement punie – pire il n’hésite pas à mutiler ses enfants lorsque deux de ses fils découvrant le sexe opposé et leur désir naissant osent poser les yeux ou la main sur une femme. Obligé d’arrêter son activité de trafiquant, le père se découvre une foi qui le transforme en sorte de gourou. Sa maison devenue église voit affluer des adeptes de partout. Il y exhibe ses fils mutilés, véritables bêtes de sa foire religieuse. Le puzzle de l’histoire commencée dans Trois fils se met en place, la vengeance des fils aussi.

Ludovic Debeurme est un ODNI, un objet dessinant non identifié mais bien identifiable par son univers si particulier : des histoires en forme de contes terrifiants, des personnages aux contours fantastiques, comme si l’auteur donnait à voir ce qu’il y a de plus intimes chez ses protagonistes. Ce petit quelque chose qui dit toute la contradiction de l’humain, sa part de beauté comme sa part d’horreur. Il y a quelque chose de dérangeant dans l’œuvre de Debeurme, qui bouscule incontestablement. Un malaise qui côtoie pourtant une forme de poésie. Le tout donne une œuvre hypnotisante, toujours surprenante et riche qui passe d’un fin trait noir et blanc de croquis (dans Lucille ou Renée) à la gouache (Trois Fils) ou aux crayons de couleur (Un père vertueux).

Trois fils de Ludovic Debeurme. Editions Cornélius/ 2013
Un père vertueux de Ludovic Debeurme. Editions Cornélius/ 2015

La série Trois Fils était annoncée en tryptique mais j’ai lu ici et là qu’il n’y aurait finalement que ces deux tomes.

Alcoolique – Jonathan Ames & Dean Haspiel

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« Jonathan Ames parle de ce livre comme d’une œuvre de fiction où presque tout est vrai » indique malicieusement l’éditeur en toute dernière page. Jonathan Ames prévient lui aussi que le patronyme en forme d’initiale de son personnage Jonathan A. peut aussi bien signifier Jonathan Anonyme que Jonathan Alcoolique. Pour autant, on ne peut s’empêcher de considérer notre escogriffe comme le double de Jonathan Ames lui-même, tant leurs parcours artistiques s’entremêlent.
Cette auto-fiction (donc) ouvre sur une scène presque burlesque teintée de pathétisme : à l’arrière d’une voiture, Jonathan A. se réveille sous les tentatives d’abus sexuel d’une petite (très petite) vieille (très vieille) femme. Alors que la police frappe au carreau, Jonathan A. prend la poudre d’escampette, se demandant ce qui a bien pu l’amener là. Mais il le sait parfaitement : c’est son penchant pour la boisson, qui depuis des années rythme sa vie. Et c’est ce rapport complexe qu’il entretient avec la boisson mais aussi les drogues qu’il entreprend de raconter dans ce gros roman graphique. Malgré le titre qui enfermerait de prime abord le livre à cette seule dimension, le narrateur livre aussi les joies, les peines, les déceptions, les ruptures, les succès qui ont composé, ponctué sa vie. Un portrait d’homme bancal (et d’artiste), rude et touchant.
Un album à découvrir tant pour le fond que pour la forme car encore une fois Monsieur Toussaint Louverture a soigné l’écrin. On ne ressort jamais indifférent d’un livre de cet éditeur que j’aime (d’un vrai amour) pour ses choix radicaux et son travail éditorial d’orfèvre qui fait de chaque nouveau titre, un objet unique et une expérience particulière.

Mo’ s’est ennuyée dans cet album, Jérôme a aimé (une lecture de mec qu’il dit – ouais ben pas que hein !)

Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel (traduit de l’anglais (US) par Fanny Soubiran. Editions Monsieur Toussaint Louverture/ octobre 2015